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Archive for the ‘Annotations et réflexions’ Category

L’art de la circulation en Thaïlande.

Un vaste gymkhana.

Je voudrais commencer par une remarque générale et donner un ton positif à mes observations du trafic  routier en Thaïlande :

« Conduire dans ce pays est une course d’obstacles permanente, ponctuée de mille dangers. Je n’hésite cependant pas à préférer la liberté offerte par la circulation en Thaïlande aux corsets étroits et sécurisants des routes occidentales ». Pour le reste, la conduite d’une moto est aussi risquée que la vie.

Même anecdotique, la description des problèmes de circulation n’est pas anodine. Il est facile de tomber dans la critique sociale d’un modèle et de comportements différents ou de sombrer dans l’humour noir, face à l’hécatombe des accidents. Suivre la crête du réalisme et de l’objectivité est un équilibre difficile, que je ne prétends pas maîtriser dans ma narration, fondée sur des appréciations, expériences et émotions personnelles.

Voici en vrac des « généralisations » tirées de vingt ans de survie sur les routes du Siam.  Elles sont parmi les plus dangereuses du monde mais offrent également, surtout dans le Nord, les plus extraordinaires ballades à moto.

Pour les étrangers, la première difficulté est le sens de la circulation. Elle se fait généralement à gauche. Cependant même les citoyens des pays anglo-saxons, dans lesquels la circulation se fait toujours de ce côté-là sont surpris du nombre d’exceptions à cette règle.

Ceci n’est pas le seul facteur d’étonnement. Toute surface peut servir à rouler, dans le sens et selon l’opportunité du moment. Les trottoirs sont des voies de circulation et les pistes d’autoroute peuvent être utilisées pour parquer. La définition de l’usager de la route est également large, elle englobe les éléphants, les énormes trains routiers, les frêles piétons et timides cyclistes ainsi que des motards et voitures testant les limites de leurs performances. Tous partagent ou se disputent aimablement les mêmes pistes. Dans ce désordre apparent règne un certain calme, de la bonhomie, peut-être de la résignation. Il y a peu d’ agressivité et presque pas de bruits de klaxons.

Sur le plan des attitudes, il faut s’habituer à penser hors du cadre restreint d’un code de la circulation. D’ailleurs, si celui-ci existe, personne ne le connaît ni ne s’en préoccupe. Quelques « règles coutumières » assurent un minimum de fluidité : éviter d’entrer en collision avec les véhicules situés à l’avant, laisser la priorité aux plus grands, aux plus prestigieux et aux plus hardis.

D’autres « normes » se vérifient par l’observation. La vitesse n’est pas limitée par une signalisation, mais par les contraintes techniques des véhicules et par l’ agilité des conducteurs. Les lois de la gravitation et du temps de réaction son également peu connues, à part des victimes d’accidents, morts sans en avoir parlé. A plus de cent à l’heure, une distance entre pare-choques d’ un mètre est un sursis, révoqué au moindre incident.

La liste des « libertés » compte bien d’autres singularités. Les marquages sur les routes donnent un air de modernité à la chaussée, ils n’ont pas d’autre utilité. Pour éviter les accrochages il suffit de voire, d’être vu et de réagir judicieusement. Ceci est souvent le cas, même si les fréquentes exceptions alimentent les statistiques des morts et des blessés. La vitesse exagérée (vision trop tardive pour réagir),  l’inattention (vision obstruée par l’alcool ou par des substances illégales) et le manque de lumière (les phares servent aussi à être vu) sont les principaux obstacles humains à un décompte routier moins meurtrier.

D’autres « aides » à la conduite, comme les feux tricolores, règlent la circulation croisée de manière presque efficace. Il suffit de ne pas être daltonien, inattentif ou euphorisé pour admettre de s’arrêter. Les cycles d’attente sont généralement  longs et favorisent un gymkhana de remplissage des espaces par les plus petits véhicules, notamment les « deux roues ». Attirés par le vide, ils zigzaguent et s’infiltrent, comme un fluide entre des interstices.  L’objectif n’est pas seulement de prendre de l’avance, mais, si possible, d’être en pole position. Jouant des coudes, les plus hardis occupent le terrain, parfois jusqu’au milieu du carrefour. A l’arrière l’enchevêtrement se complique de seconde en seconde, jusqu’à la délivrance par le feu vert. L’observateur ébahit voit alors se défaire, sans trop de dommage, un nœud  gordien apparemment inextricable.

Ne pas participer à la « marche en avant » fait courir un risque élevé de suffocation aux motocyclistes. Aucun véhicule n’arrête son moteur et les poids lourds à la carburation mal réglée, rejettent leurs émanations à hauteur de narines. Comme pour les paquets de cigarette ils mériteraient la mention: « ma fumée tue ».

« Jai yen yen » – le sang froid sur la chaussée.

Près des agglomérations le réseau des routes thaïlandaises est large et confortable. Quatre, six, huit pistes sont la norme, souvent avec une bande centrale infranchissable. Cette « canalisation » du trafic rapide nécessite  des issues, quelques rares échangeurs, des carrefours réglés et surtout les omniprésents « u-turns ». En manoeuvrant, les gros véhicules bloquent généralement deux à trois pistes, les autres se contentent de moins, mais tous coupent sereinement la route aux motos. Plus rapides au démarrage celles-ci cavalent en tête des pelotons et sont  la cible privilégiées des « u-turnistes », peu impressionnés par les véhicules légers. Les excès de vitesse sont un autre facteur de stupéfaction sur des  axes traversant villes, faubourgs et villages. En Occident la limite serait de cinquante kilomètres à l’heure. Faute de radars, seule l’inconscience ou la hardiesse des chauffards constituent des normes. Dans les agglomérations, une aiguille de compteur marquant cent-vingt kilomètre use les nerfs des autres conducteurs et les freins.

Parmi mes aberrations préférées se trouvent les « lucarnes de retour » sur la voie opposée, les perfides « x-turns », permettant à toutes sortes d’usagers de circuler à contre-sens. Celui qui vient en face est supposé voire et accepter cette manoeuvre, évitant lui-même la collision. L’attention doit également être permanente par rapport aux véhicules roulant dans le même sens. A tout moment, ils peuvent obliquer vers la gauche ou vers la droite, sans signal préalable et sans se douter qu’ils possèdent des rétroviseurs. Il faut toujours avoir à l’esprit cette possibilité qui devient une certitude si le déplacement est signalé, par un bras ou par un clignoteur. Le conducteur va alors immédiatement couper la route, sans se préoccuper d’éventuelles autres manoeuvres en cours.

J’ai moi-même vérifié ce postulat lorsqu’une motocyclette coupa ma route à angle droit, provoquant notre chute. Ma rencontre avec le macadam se solda par une clavicule cassée. Le chauffard se défila en vitesse, me laissant péniblement relever mon chopper avec mon bras valide.

Une autre manoeuvre déconcertante est le déplacement à droite précédent la bifurcation dans un chemin à gauche. Ce « zig-zag » non annoncé est utile pour entrer, à vitesse relativement élevée, dans une voie étroite et à angle droit, sans risquer d’écorner sa voiture. Le conducteur ayant prévu de passer à gauche, s’il ne provoque pas un accident, en reste pour le moins pantois.

Les piétons sont les parents pauvres de la route, je suis d’ailleurs étonné qu’il en reste encore. Au péril de leurs vies ils courent comme des toreros, affrontant les véhicules en évitant absolument les passages protégés dont la fausse sécurité peut être fatale. Quelques feux rouges leurs fournissent un havre très provisoire, car les automobilistes redémarrent, après le passage du peloton, sans attendre le changement de couleur. Arrivant à grandes enjambées, un retardataire est considéré comme suicidaire.

Si les feux tricolores inspirent du respect, c’est avec une large zone de tolérance. Un minimum de 2 à 3 véhicules accélèrent et passent au rouge avant qu’un usager considère un arrêt. Selon la vitesse et la grandeur des véhicules ce chiffre peut augmenter considérablement, jusqu’à bloquer l’onde verte de la voie opposée. Les feux rouges sont souvent placés de manière pernicieuse, fixés très haut à des câbles traversant  l’horizon. L’alternative « nez-en l’air » ou concentration sur les véhicules précédents est un choix scabreux. Par ailleurs, les signaux pour la traversée du carrefour et pour les bifurcations latérales sont jumelées sur un même panneau. Se fier à la couleur, sans discerner les flèches, conduit directement à une collision.

Les usagers de la route en Thaïlande (j’inclus les étrangers grisés par leurs nouvelles libertés), se souviennent bien du théorème physique définissant la droite comme le chemin le plus court. Les applications à la circulation sont nombreuses. Un sens interdit, par exemple, vaut rarement le détour. Les fameux “x-turns” (circulation à contresens), les contours franchement coupés, la traversée à angle droit de quatre pistes d’autoroute sont des pratiques courantes et acceptées. Nous sommes au pays de la tolérance et les surfaces permettant la circulation sont ouvertes à tous, à conditions de pouvoir y survivre. Ce principe de sélection naturelle conduit à être fréquemment témoin d’accidents graves ou d’incidents mineurs. La rubrique des chiens écrasés, si elle existait encore, noircirait les colonnes des journaux. Morts, ils ne sont cependant plus très dangereux. Le vrai fléau, ce sont les animaux subitement poussés par leur karma à traverser la route, particulièrement à l’approche d’un véhicule à deux roues.

Si la fantaisie est de rigueur au niveau des dilettantes, on devrait pouvoir faire confiance aux chauffeurs professionnels et aux transports publics. Ceci n’est de loin pas le cas et ils ne sont pas plus fiables. Dans cette catégorie l’origine des accidents est un cocktail explosif combinant la nonchalance, la pression d’effectuer de nombreuses courses, les véhicules mal entretenus avec la fatigue et les stimulants. Beaucoup de voyages se terminent ainsi contre un obstacle, en collision avec d’autres usagers ou dans un ravin.  Personnellement, je  me méfie également des chargements des véhicules utilitaires. Ils sont souvent mal arrimés et prompt à se libérer sur la chaussée. J’ai vu se déverser devant moi des dizaines de palettes en bois, me laissant un infime temps de réaction pour me déporter sur l’autre voie.

Et pourtant ils roulent !

Tous les usagers et toutes les routes ne sont pas égales devant les accidents. A Bangkok, «collés (1)» dans les légendaires embouteillages, les risques majeurs sont la suffocation et l’empoisonnement au monoxyde de carbone. A la campagne l’effet de surprise prédomine. A tout moment une horde animale peut s’octroyer les pistes d’une chaussée également utilisée pour sécher du riz et pour rapatrier les ivrognes (à pied, à moto ou dans un cercueil). Un autre aspect « déroutant » est  la qualité du revêtement, lorsque les nids de poules font place à des « baignoires à cochons », à la profondeur incertaine, remplies de la dernière pluie. Comme beaucoup de routes sont dans un excellent état, les tronçons dégradés sont inattendus. Une réparation en cours sur le bitume est généralement marquée par quelques grosses branches, plus périlleuses que les  trous pour les motos. La même signalisation est utilisée pour les pannes. Elle est fréquemment oubliée sur place après l’incident.

Au centre de Bangkok, le trafic ralentit est une protection efficace, non pas contre les accidents (dont la capitale est le plus gros « contribuable ») mais contre leur gravité. De plus les secours y sont plus efficaces avec un réseau dense d’ambulances en compétition pour récolter les dépouilles.  Les routes pratiquement vides des lointaines campagnes sont également peu dangereuses. Les faubourgs de la capitale et les autres villes importantes paient le plus lourd tribut en vies humaines. L’opulente Chiangmai, avec sa jeunesse universitaire, la « hi-so » de Bangkok en résidences secondaires, les ouvriers émigrés de la proche Birmanie et un quota important de touristes, occupe souvent la tête du palmarès nécrologique.

Au cours d’un périple de plus de 3000 km, sur les routes de l’Isan (Nord Est), je n’ai été témoin d’aucun  accident et n’ai rencontré aucun chien écrasé. A peine de retour à Chiangmai j’ai vu une voiture ayant percuté un arbre, dans le périmètre même de ma résidence. Le conducteur s’était probablement endormi, en plein jour. Un chauffeur de taxi, rencontré le lendemain, revenait d’une course dans le voisinage ou il avait récupéré un motard, également endormi au volant.

Ma liste de «généralisations» ne donnent pas un reflet correct de la réalité. Tous les Thaïs (ou étrangers en Thaïlande) ne conduisent pas de manière inappropriée. Il faut même admirer le sang froid (2) avec lequel beaucoup se jouent des obstacles, conservant une ligne de conduite régulière et le sourire.
Certains comportements individuels ou des habitudes locales sont cependant étonnants, parfois amusants mais souvent dangereux (ainsi que le prouvent les statistiques des accidents (4)).

« Ne vous méprenez pas – Les Thaïs ne sont pas le seul peuple au monde à  mal conduire. Il pourraient cependant conduire tellement mieux. … les habitants de la Thaïlande sont très doués pour manier des véhicules à moteur. Dans quel autre pays peut on voire une fille ivre de 14 ans zigzaguer sur une motocyclette de 50 cc tout en parlant au téléphone à ses amis assis en amazone sur le siège arrière avec un petit chien terrifié dans les bras? Il ne devraient pas être dans la rue, mais au cirque. »
(3) Olivier Benjamin

J’ai été témoin d’une telle scène et si je ne peux pas affirmer  que la fille était sous l’emprise de la boisson, les autres éléments de l’image étaient similaires.

Prochain post (deuxième partie) : Les racines du désordre – Réduire les hécatombes – Conclusions personnelles et prévention

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(1) traduction de « rot tit », mot thaï signifiant embouteillage, littéralement voitures collées

(2) sang froid: jai yen yen, littéralement cœur froid

(3) The Outsider’s guide to Thailand, Olivier Benjamin. Bangkok books, 2005

(4) Références aus statistiques des accidents de la route

Songkran’s (the Thai New Year) « seven dangerous days » ended with 373 deaths and 4,332 injuries in 3,977 road accidents nationwide.

Motorcycles were the vehicles most involved in road accidents, about 82 per cent of all vehicles. The biggest cause of accidents was drunken driving (40.66 per cent), followed by speeding (19.96 per cent).

A total of 5,271,977 drivers and motorcycle-riders were examined at checkpoints nationwide. Of those, 408,020 were cited for violating the law, including 137,806 for driving without a licence and 136,772 for not wearing a helmet.

The Nation  2009-04-18
http://www.thaivisa.com/forum/Songkran-Traffic-Deaths-Up-Injurie-t258549.html
accessed september 2009

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